Le livre numérique gratuit de Eléa Coblan

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Sur les frises aux murs des écoles primaires, on associe en vrac un événement ou un visage à une période sans se préoccuper des échelles du temps. On affiche, les unes à la suite des autres, une image du big bang, des dinosaures, un homo sapiens au paléolithique, le visage du roi Philippe Auguste (premier monarque avec le titre de roi de France), de St Louis, de Louis XIV, de Charles de Gaulle, puis la fusée Ariane, etc. Des historiens, Marc Bloch et Lucien Febvre (spécialiste de Rabelais) fondent la revue « Annales d'histoire économique et sociale ». Ils vont abandonner l'histoire de personnes pour analyser les réalités économiques, culturelles et sociales, par l'économétrie. Ils ne vont plus assimiler une période à celui qui la dirige. Le chef de file est l'arbre qui cache la forêt. Il s'agit de mieux connaître les français qui ont contribué à financer les grands événements, quelles habitudes de consommation ils avaient, quels impôts, etc., caractériser des moments.

Jacques le Goff, directeur des annales, publie en 1996 « Saint Louis, Paris, Gallimard ». Jacques le Goff est la crème de la crème, un écrivain très reconnu. Le monde universitaire est surpris lorsque son ouvrage « Saint Louis » paraît. Certains se disent qu'il vieillit en publiant une nouvelle biographie du type de celles d'Alain Decaux. Qui plus est dans la prestigieuse collection de Gallimard « NRF revue blanche ». A la lecture de Jacques le Goff, magistral, les 600 pages démontrent qu'on peut écrire un ouvrage qui porte le nom d'un personnage sans insister sur cette personne, en essayant de comprendre la société d'une époque par sa référence (le bon vieux temps dans sa vie), avec l'étude des modes de vie, de la vie privée des gens.

Deux points sont soulignés :
1- Louis IX est amoureux de sa femme.
Louis IX épouse Marguerite de Provence et il est amoureux d'elle. Il ne supporte pas d'être loin d'elle, ils aiment faire l'amour, il lui fait 11 enfants. Saint Louis aime Marguerite au point de la chercher si son absence à ses côtés devient trop longue (une ou deux heures). C'était inhabituel pour l'époque, sa mère Blanche de Castille, ses frères, son entourage et toute l'aristocratie le raillaient. On allait au bordel en ce temps là, alors que Louis et Marguerite adoraient faire l'amour et le faisaient souvent. C'était une valeur bourgeoise, féminine, méprisée, qui arrivait et qui se répandit, créant un modèle culturel et social dans la société urbaine. Ce n'était plus une faiblesse que d'aimer une seule et unique femme. La famille nucléée, composée des deux conjoints et de leurs enfants, commença à se structurer.
St Louis est en avance sur les pratiques relatives à la famille (ouvrage important de Jacques le Goff).
2- Louis IX s'entoure de religieux
Louis IX s'entoure de religieux des ordres mendiants, comme les franciscains et les dominicains. Les franciscains vivent en ville où ils se consacrent à la prédication, à l'assistance aux pauvres, et à l'enseignement. Les deux ordres ont joué un rôle crucial dans la fondation des universités médiévales (comme l'Université de Paris). Les bénédictins vivent dans les monastères à la campagne. Leur influence à la cour de Louis IX était donc généralement moindre par rapport à celle des ordres mendiants urbains. Les franciscains marquent une époque, ils prêchent en ville et font évoluer les pratiques chrétiennes. La manifestation de cette foi change, même si les rituels restent les mêmes.

Les croisades
Il y en eut un nombre très important. La première croisade commence au début du XI e siècle. En juillet 1099, Godefroy de Bouillon s'empare de Jérusalem. Saint Louis meurt lors de la huitième et dernière croisade le 15 août 1270, échec final de ce mouvement.

Comment le comprendre ?
Le déclencheur précis est la rupture de l'équilibre territorial en Orient au sein de l'Empire Byzantin. Dès le XI e siècle, la frontière entre l'Empire d'Orient et le monde musulman bouge en faveur du monde musulman. Les acteurs ne sont pas des peuples arabes. Les Sarrasins sont plus berbères qu'arabes (terme médiéval utilisé en Europe pour désigner les musulmans, qu'ils soient Arabes, Berbères ou autres). Les turcs seldjoukides font pression sur le sultan du calife de Bagdad. Ils ont un comportement agressif sur les populations chrétiennes de Nazareth et de Jérusalem, ils massacrent des pèlerins, rompant une ancienne convention avec le calife Omar les autorisant à pratiquer leur religion, en échange du paiement d'un impôt. Ils commencent à s'étendre vers l'Ouest. Alexis Ier Comnène, l'Empereur, appelle au secours le Pape Urbain II. Urbain II lance la première croisade.

Première croisade (1096-1099)
Ceux des « milites »* qui iront délivrer le Moyen-Orient gagneront le paradis instantanément s'ils meurent et, s'ils s'en sortent vivants, des domaines leur seront attribués. La première promesse est spirituelle, la seconde territoriale. Un nombre impressionnant de croisés se portent volontaires, les phalanges franques. Cette croisade est un succès, en partie dû à l'atomisation des États d'Orient, les petits potentats locaux ne peuvent résister. Il y a aussi un choc technologique, les « milites » se battent sur des chevaux massifs avec un équipement lourd, armures, boucliers, cote de maille, pouvant aller jusqu'à peser dans les 140 kg. Ils livrent bataille dans des endroits dégagés. En face, ce sont des cavaliers légers sur des chevaux fins qui se font littéralement écraser. Les défaites sont spectaculaires. Les « milites » conquièrent ainsi beaucoup de territoires et prennent Jérusalem. Ils installent de nombreux états chrétiens au Moyen-Orient. Ce sera un enjeu géopolitique que de les défendre. Pendant ce temps, Louis VI le gros ne part pas à la croisade. Il s'occupe à gagner de petits territoires mal protégés à cause de la démilitarisation de son royaume.

*Voir mon article "Du brigand au chevalier"

Deuxième croisade (1147-1149)
Le premier roi des Francs à partir en croisade est Louis VII lors d'une expédition au Moyen-Orient, avec Bernard de Clairvaux de l'ordre des Cisterciens. Cette deuxième croisade a peu d'effet militaire mais renforce les liens entre le roi et l'aristocratie militaire, le roi gagne en prestige.

Troisième croisade (1189-1192)
Trois souverains participent : le roi de France Philippe Auguste, Frédéric Barberousse et Richard Cœur de Lion pour l'Angleterre. Ils n'y seraient sans doute pas allés s'ils avaient eu connaissance de l'implication des autres, mais la concurrence de la gloire s'impose à eux. Pour être un chevalier accompli, il fallait au moins une fois participer à une croisade. Le souverain pouvait ainsi dire « j'ai pris la croix ». La preuve de la valeur militaire s'installe sur ce modèle.

Quatrième croisade (1202-1204)
Mais ce modèle va s'effondrer sous le pape Innocent III en 1202. Ce dernier appelle à la croisade en 1198. Plutôt que d'engager cette immense armée sur les terres, il décide de l'embarquer dans une grande flotte en Méditerranée. Il lance un appel d'offre et la République de Venise, seule capable de fournir cette logistique, répond favorablement, elle accepte de louer une flotte. Lorsque les croisés arrivent dans la lagune, ils ne sont pas en mesure de payer la flotte des Vénitiens. Le Doge Enrico Dandolo leur demande alors d'aider Venise à reconquérir Zadar en échange d'un délai de paiement. Les croisés acceptent et la flotte prend le large sous son commandement. Après la conquête de Zadar, Dandolo est sollicité dans un conflit de pouvoir. Il ne refuse pas car il sait qu'il y a des richesses à accaparer. La flotte va piller Constantinople en 1204 et provoquer une rupture majeure entre le christianisme d'orient et celui, latin, d'occident. Le Doge envoie à Venise des œuvres d'art, dont les quatre chevaux de bronze de Saint-Marc, récupérées lors de ce pillage et qui seront placées à la vue de tous.

A Istanbul aujourd'hui, on peut observer un curieux comportement à l'occasion d'une visite de la mosquée (ancienne basilique) Sainte Sophie. Enrico Dandolo y est enterré, sa tombe est marquée à son nom dans un étage. Il faut patienter un petit moment (pas plus d'un quart d'heure) dans la galerie, le temps de voir réagir certains touristes. On sera surpris de voir des gens cracher sur la pierre tombale. Ce sont des familles de grecs qui montrent leur haine des vénitiens à cause du pillage de Constantinople. Bizarrement, il fut enterré en ce lieu malgré l'excommunication du Pape Innocent III pour détournement de croisade. Il existe une lettre très violente du Pape à son encontre qui n'a jamais été publiée, il l'a excommunié en secret.

Septième croisade (1248-1254)
Suite à cet échec, les croisades existent encore, mais sont entachées de cette dérive. A la fin du XIII e siècle, les derniers états chrétiens sont éliminés.
Saint Louis participera aux deux dernières croisades, en 1248 et 1270, la première en Égypte au Caire, grande puissance musulmane. Il sera battu lors de la bataille de Mansourah. Le roi et ses troupes seront capturés, il faudra payer une rançon pour leur libération. Il a perdu la guerre mais, quand il rentre en France, il a gagné en prestige, vertu, comportement remarquable. Son discours fut le suivant : « si nous avons perdu, c'est que Dieu nous a puni, nous ne sommes pas assez saints. ».
Il va procéder à une série de réformes, dont celle du système judiciaire. Les images d’Épinal le montrent rendant la justice sous un chêne. Il réforme les institutions judiciaires en créant le Parlement de Paris dans la cour du Roi qui délègue ses pouvoirs aux juges.
De retour de croisade, il revient avec quantités de reliques qu'il a achetées à prix d'or, dont la couronne d'épines du Christ, des morceaux de bois de la croix, un clou et d'autres objets associés à la Passion. Il faut un reliquaire pour ces reliques. Ce reliquaire ne sera pas une simple boîte, mais un édifice de 39 mètres de haut, la Sainte Chapelle, en plein cœur du palais, l'ancien palais de justice, le lieu du Parlement et de la résidence parisienne du Roi. Il leur confère donc une sacralité particulière, forte. C'est une église gothique dont les murs sont des vitraux de structure très légère. La configuration et le prestige de la royauté ne sont plus liés à la victoire. La défaite n'atteint pas l'image du roi, seule la guerre contre les infidèles donne un rayonnement divin.
Plus prosaïquement, cela régule la violence sur le territoire, La croisade est efficace, on va se battre mais ailleurs que dans le royaume, loin de chez nous, ce qui renforce le pouvoir et a un effet de purge.

Huitième croisade (1270)
Il va construire le port de Aigues-Mortes, sur la Méditerranée, comme infrastructure d'embarquement. La huitième croisade sera celle de Carthage en Tunisie. Louis IX meurt à Tunis, probablement du typhus le 25 août 1270. Il est au sommet de sa puissance, à l'apogée de sa gloire : un règne d'or. Ce qui lui vaudra d'être sanctifié 9 ans après.

On dit : « Après la pluie, le beau temps ». Inversement, après le beau temps vient le mauvais temps. Au XIV e siècle, les deux générations qui vont suivre seront marquées par les crises, les famines, les difficultés agricoles, un refroidissement climatique, la guerre de 100 ans et surtout par la Peste Noire, qui a sévi entre 1347 et 1352 et a décimé jusqu'à 30% de la population. Rien à voir avec la dernière épidémie du COVID.

Photo : Sainte Sophie, Istanbul.

( Le 12/06/2024 )112